lundi 10 décembre 2012

La Main du Désespoir.

(Note de l'Auteur : je précise que cette nouvelle contient 2 points de vue. Une principale (Flake) et l'autre qui n'apparaitra qu'une seule et unique fois. **cette nouvelle a été écrite en écoutant Mein Herz Brennt de Rammstein version piano, celle-ci tournant en boucle**)


Le doux frottement du pinceau sur ma toile apaisait quelque peu mon âme torturée. Cela faisait maintenant une semaine entière, six nuits interminables que j’avais passé à ruminer dans mon lit. Six insomnies à voir son corps dans ma tête… Elle me hantait, cette inconnue, voulant me faire payer mon inattention et mon manque de réactivité.
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Le coup de Dirk s’abattit sur ma joue tel un éclair. Je ne l'avais pas vu venir, et le bruit de craquement au contact de son poing me retourna l’estomac. Une fois de plus, je m’affaissai au sol qui était devenu mon Asile, redoutant le coup ultime qui allait livrer mon dernier voyage dans l'inconscient. Mes cheveux formèrent un mince voile devant mes yeux, alors que des larmes de honte vinrent se mêler aux tourments affichés sur mon visage ecchymosé. Je n’osai pas le regarder, lui qui avait partagé ma vie pendant douze longues années. Lui qui m’avait pourtant offert les plus beaux moments de ma vie, avait aussi la clef pour me les retirer tous, creusant d’avantage le vide immense qui se formait dans mon cœur.
Je culpabilisais, et bien qu’aucun homme n’ait le droit de frapper une femme,je dus malheureusement admettre que je l’avais cherché malgré moi. Mes mains et mes inspirations parlaient de trop, et les dernières toiles que j’avais peintes s’étaient ternies par mes propres expériences.
Mon corps quasi inerte gisait toujours par terre, dans l’attente inespérée du coup de pied habituel qui me faisait vomir à chaque fois, or, rien de tel ne se passa. De longues minutes d’hésitation et de hantise m’avaient paralysée, me rendant incapable de lever la tête vers mon assaillant. Je m’interrogeai même quant à sa présence, alors que son mutisme flottait dans cette atmosphère pesante. Soudain, cette voix dégoutante s’éleva :

« Tu ne vaux rien ma pauvre femme. Pourquoi continuer à gaspiller notre argent dans de telles futilités ? Tu veux te faire plaindre c’est ça ? Montrer au monde l’homme ignoble que je suis ? »

Je ne répondis pas, redoutant l’amertume qui m’aurait alors trahie. Seulement, et bien trop rapidement à mon gout, une semelle vints’écraser sur ma joue, déformant un peu plus mes traits. Je gémissais, espérant que cela ne suffise. Puis, son souffle sur mon oreille, chaud et glacial à la fois, me fit frissonner.

« Tu ne retoucheras plus jamais un pinceau de ta vie,tu m’entends ? Je t’interdis de fréquenter tes musées diaboliques, tu resteras à la maison, en épouse modèle à t’occuper de ton fidèle époux, tu m’as bien compris ? »

Je hochai la tête, et poussa un léger soupir de soulagement lorsque son pied revint à côté de son jumeau. Ses pas s’éloignèrent de moi,emportant avec eux mes dernières craintes, puis la porte d’entrée claqua.
Seule recroquevillée sur le sol du salon, je me mis à pleurer de nouveau ; cela devenait une habitude malsaine.
J’avais blessé involontairement la fierté de mon époux, ayant exposé un tableau qui avait suscité autant de scandale que d’admiration. Dans mon désarroi, je me relevai avec peine, mes os criant sous le supplice que je leur infligeais,puis, après avoir bien vérifié l’absence de mon mari, je sortis de cette maison.
Je ne m’étais même pas inquiétée de mon style vestimentaire. Trop dénudée parce temps hivernal, les quelques passants me jetaient des coups d’œil qui équivalaient à des milliers de lames glissant sur ma chair, la meurtrissant un peu plus.
Enfin, la fin de mon calvaire approcha à la même allure dont je me rapprochais du pont, et, alors qu’avec le peu de force qu’il me restait, je glissai la deuxième jambe de l’autre côté de la barrière, je me remis à penser à cet homme, cet étrange inconnu que j’avais rencontré quelques heures auparavant et qui aurait pu changer ma vie, s’il seulement il avait persisté à en faire partie…

Je me souvins du premier regard que j’avais posé sur lui. Il était resté là, les yeux fixés sur ma toile depuis de longues minutes. Je l’avais déjà remarqué, à vrai dire, une telle silhouette ne passait pas inaperçue. Il était grand et svelte, presque maigre, et lorsque je m’étais approchée de lui, une aura apaisante émanait de sa personne. Il portait de slunettes aux montures exagérément grosses, rendant alors son regard insondable. Puis, au bout de quelques secondes, il remarqua ma présence à ses côtés…
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J’observai son travail, subjugué par tant de beauté et de mélancolie. Oh, ce tableau n’avait pas attiré mon attention sur le coup, bien loin de là. Son style était tellement différent du mien, à vrai dire, il était à l’opposé. Moi, mes coups de pinceaux s’exécutaient sous l’influence Munsch, m’imprégnant de sa technique torturée, alors que les siens semblaient calculés, rien n’était laissé au hasard, et sa torture à elle, se trouvait dans le rendu final, non pas dans la technique.
Mes iris quittèrent la peinture quelques instants, pour s’attarder sur le petit écriteau pendu au-dessous de la toile.« Autoportrait. » Bien que cela ne m’atteigne pas personnellement, je priai fort pour que ce ne soit pas réellement le cas, pour que l’artiste n’ait alors pas représenté son vrai visage.
Automatiquement, je me noyai de nouveau dans ce regard perdu. Elle fixait l’horizon, dévoilant une partie de son minois, originellement joli, assombri par de multiples blessures.
Soudain, une présence à mes côtés vint troubler mon analyse.
Mon cœur eut un raté lorsque je vis cette créature, frêle,et offerte à moi. Lentement, mes yeux voyagèrent entre la fille qui se tenait à ma gauche, et celle dont les traits m’avaient subjugués quelques secondes auparavant.
Ma gorge se noua instantanément lorsque je réalisai, avec stupeur, que ces deux visages étaient semblables, les blessures en moins sur la version réelle. Mais sa voix, douce et chaleureuse, me sortit de mes pensées :

« Bonjour. Mon tableau vous intéresse-t-il ? »

« Intéressé » n’était pas vraiment le mot,« intrigué » aurait été plus correct. Je pris le temps de l’observer avant de lui répondre, et je sus que son sourire cachait alors l’appréhension de mon appréciation. Ses yeux verts brillaient sous un fard à paupière discret,alors que son rouge à lèvre dénotait une bouche bien définie. Elle peignait fermement sur un morceau de toile, alors que le maquillage qu’elle portait montrait que sa peau restait une œuvre fragile, à remplir avec précaution et soin. Elle était belle et fraiche, à l’instar de cette femme dont elle avait tiré le portrait. Celle-là semblée usée et abusée, mais ses yeux racontaient une belle histoire, bien qu’interdite.

« Bonjour à vous. Je dois bien avouer que ce tableau m’intrigue. Je ne saurai dire pourquoi. » Lui avais-je soudainement répondu.

Je crus apercevoir un léger sursaut de sa part, lorsque ma voix, forte et sûre, lui offrit la réponse qu’elle attendait. Lorsqu’elle se ressaisit, elle sourit franchement, me laissant alors admirer une dentition parfaitement alignée. Poliment, je lui tendis ma main, et elle ne perdit pas de temps à la serrer. Ce toucher me fit un choc, comme si au contact de sa peau, le roman de sa vie m’avait été transmis ; il ne me restait plus qu’à ouvrir à la première page. Seulement la couverture de ce livre était bien trop épaisse et lourde à soulever, et ma volonté fut vaine lorsqu’elle plongea ses yeux dans les miens. Cette lueur malicieuse avait disparue, et ce que j’y vis me fit peur. J’avais tout compris alors qu’elle ne m’avait rien dit. Ce tableau qui avait attiré mon attention, était bel et bien un autoportrait, et cette jeune femme, était un ange aux ailes brisées. Involontairement de ma part, je me reculai d’un pas, voulant m’arracher à cette vision miséreuse.
Mais ses mots vinrent se frayer un chemin tortueux vers mon cœur.

« Je suis surprise. D’habitude, personne ne s’intéresse à moi, ni à mes œuvres. Je m’appelle Cristina Lorena, et je suis enchantée de vous rencontrer. »

Cristina Lorena… Cela ne se pouvait. C’était sûrement une blague, de très mauvais gout. Cette femme devait sûrement me connaitre pour s’inventer un nom aussi proche du mien.
Ne voulant pas me montrer présomptueux, je répondis cependant à son introduction. Mes lèvres s’écartèrent avec mal, scindant difficilement mon visage en un sourire forcé.

« Je suis Christian Lorenz. Enchanté. C’est donc vous sur ce tableau ?»

Ses yeux s’écarquillèrent de stupeur, et, soudain, elle fut prise d’un fou rire incontrôlable, qui vira vite aux larmes. Je ne fis rien d’autre que de la regarder sombrer dans son délire, son corps se pliant en deux, alors qu’intérieurement je hurlais mon incompréhension la plus totale.

J’aurai du partir, m’éloigner de cette femme qui sans le savoir, déversait un poison mortel en moi. Mais l’empathie avait cloué mes semelles au sol, et, alors que des inconnus nous regardaient étrangement, leur curiosité de badauds mettant mon malaise à nu, je fis un geste désespéré.
Alors que son fou rire tournait au cri douloureux, je m’approchai de cette femme,la relevant avec peine, mais ne put rien faire lorsqu’elle se jeta dans mes bras.
Mon cerveau m’implorait de la repousser, me prévenant des problèmes que cette artiste allait causer. Pourtant, alors que des larmes vinrent mouiller mon tee-shirt, mon cœur me fit comprendre que cela n’était pas la meilleure chose à faire.

Dans un élan d’affection, je lui proposai de sortir prendre l’air, ce qu’elle ne refusa pas.
Quelques longues minutes après, nous nous retrouvâmes assis sur un banc, à l’abri du soleil qui, j’en étais certain, aurait très probablement pu la briser. Je fouillais dans mes poches, cherchant désespérément mon paquet de cigarettes. J’en sortis une, et la glissa paresseusement sur le bord de me slèvres, tendant une nouvelle à Cristina qui semblait n’attendre que ça. Dans le silence le plus total, j’embrasai nos cigarettes, appréciant l’amertume qui glissait le long de ma gorge.
Puis, je brisai la glace.

« Pouvez-vous me parler de cet autoportrait, s’il vous plait ? » me risquai-je.

Elle contemplait le néant en face d’elle, ne prenant même pas le temps de me regarder alors que j’admirais son profil si doux. Puis, elle prit une bouffée de fumée, secouant la tête de haut en bas, avant de parler à son tour.

« Il parle de lui-même. Ne cherchez pas un sens au-delà de ce que l’image vous raconte Christian. »

Sa voix délibérément froide, contrastant avec son apparente chaleur me brisa le cœur. Alors que je lui offrais mon oreille attentive, elle refusait de s’offrir à moi en retour. A quoi donc m’attendais-je ? Elle n’était qu’une étrangère. Artiste redevable de l’attention que j’apportais à ses œuvres, rien de plus. Ainsi donc, elle voulait que j’en reste à la seule signification horrible à laquelle j’avais pensé quand elle avait été prise d’une crise de je-ne-sais-quoi.
Elle ne pouvait pas être une simple femme blessée, il y avait bien plus derrière ce masque effrayant.
Soudain, je remarquai un petit détail. A son annulaire gauche trônait fièrement un anneau doré. Il était fin et simple, à l’image de sa porteuse. Elle était mariée, ou aimait le faire croire.

« Mon mari n’aime pas ce que je fais de mon métier… » Me dit-elle d’une voix faible.

Elle avait répondu à bon nombre de mes questions silencieuses. Puis, des milliers de flash vinrent perturber mon esprit déjà sinueux. Comment un homme pourrait-il laisser quelqu’un faire du mal à sa propre femme ? La seule optique que je voyais alors dans ce tunnel si sombre, était que ce même individu était tout simplement la cause des tourments de l’artiste. Cela ne m’étonnait guère qu’il n’aimait pas son travail. Ce tableau lui renvoyait toutes ses atrocités au visage, alors que celui de sa femme portait les stigmates de sa propre folie.
Je fus soudainement pris de pitié pour cette créature innocente qui se trouvait à mes côtés, pourtant je voulais me gifler pour ne pas ressentir ce sentiment si nauséabond. Je me levai, lui faisant face. Elle leva la tête vers moi, pour plonger une fois de plus ses yeux dans les miens,et je ne contrôlais pas mes doigts. Ils vinrent se poser délicatement sur la fleur si fragile qu’était sa joue, et Cristina ferma les yeux, appréciant sûrement ma douceur. C’était là l’unique cadeau que je pouvais lui offrir, et j’espérais juste qu’elle pouvait s’en contenter ; car je ne pouvais pas rester. Je devais fuir les ennuis.

Puis trois mots quittèrent ma bouche. Trois pauvres mots dénués de sens qui avaient le gout du regret.

« Je suis désolé. »

Je la quittai alors, sous son regard pesant d’interrogations.

Les heures qui suivirent cette rencontre laissèrent un vide, je me sentais tellement usé. Je marchai inutilement dans les rues délaissées de Berlin, mes pensées dansant toujours autour de cette artiste qui avait su m’intriguer, cette femme qui avait su attirer mon attention d’une manière atypique. Je savais bien que j’allais regretter mon dernier geste envers elle, j’aurai du la forcer à s’ouvrir à moi. Mais aurais-je été bien attentif ?Aurais-je été bien utile ? J’avais une famille à ma charge, une petite fille à qui offrir tout mon amour, je ne pouvais m’évader à ce point. Je me devais de rester droit et fermé au monde extérieur.
Alors qu’il ne me restait que quelques mètres à faire pour arriver enfin à la maison, j’entendis des pleurs au loin. J’hésitai  à faire demi-tour, pour éviter à nouveau des ennuis, mais mes pas me conduisirent vers le pont d’où provenaient ces sanglots. Puis je me figeai de stupeur. Alors qu’elle avait levé les yeux sur moi, un dernier regard où je vis la lueur du désespoir mêlé à un sourire de soulagement, Cristina, qui se tenait alors au-dessus du vide, lâcha prise.
Je ne vis même pas son corps tomber dans le vide, à vrai dire, je ne voyais plus rien du tout. Car des larmes me rendirent aveugle. Je n’entendis pas non plus le bruit de ses os craquer sous le choc, car les bourdonnements de remords me rendirent sourd. Je n’eus aucune réaction, mais très bientôt, mon vieux téléphone portable vint se coller à mon oreille droite,et, avec un flegme choquant, j’appelai la police.





Je fermais les yeux, voulant absolument me débarrasser de cessouvenirs amers, laissant alors mon automatisme guider mes mouvements. Lentement, ma toile s’imprégnait du pigment bleu subtilement choisi. Bleu,comme la couleur de la rose que j’avais déposée sur sa tombe il y avait seulement quelques heures…